Etanchéité.Info - Numéro 82 - Juin 2024

TÉMOIN 44 CAROLINA FOÏS ÉTANCHÉITÉ.INFO #82 JUIN 2024 toiture disponibles, un paysage urbain cohérent et répondant aux trois grands enjeux auxquels la ville est confrontée aujourd’hui : l’usage, l’écologie et l’énergie. Il faut sortir du postulat existant qui veut que chaque terrasse soit traitée indépendamment de son environnement direct. En outre, une terrasse ne peut, à elle seule, répondre à toutes les problématiques. Le risque, c’est de rendre les aménagements infaisables, avec un trop grand nombre d’éléments prévus par rapport à la surface restreinte. L’engouement doit parfois être réfréné pour mieux cibler les objectifs et remettre la problématique à la juste échelle. E.I. Comment définir cette échelle ? C.F. Il faut connaître et décoder l’existant. Des outils, comme la cartographie réalisée par l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), permettent d’évaluer le potentiel des toitures. Il est donc possible de quantifier les mètres carrés disponibles, de faire émerger leur étendue grâce à cette vision en trois dimensions de la ville, de définir les enjeux, les objectifs et les réponses que peuvent apporter les toitures dans ce contexte. E.I. Quels seraient les freins à cette approche ? C.F. La fonctionnalisation des toitures-terrasses est aujourd’hui intégrée par tous. Là-dessus, il n’y a plus de débat. Mais les freins persistent avec, comme souvent, les coûts d’aménagement, la problématique de charge et de portance, plus récemment, le bilan carbone du bâtiment… E.I. L’interface avec le procédé d’étanchéité est également clé… C.F. En effet. Si le travail avec le bureau d’études structure ou fluide paraît évident, celui avec l’entreprise l’est moins. Pourtant, il faut bien garder à l’esprit qu’à la moindre fuite, c’est souvent toute la toiture qu’il faut déposer. Malgré le risque encouru, paysagiste et étancheur entrent en contact assez tard dans le processus de conception. C’est pourquoi nous avons pris l’habitude de nous réunir dès le début de la phase étude avec l’étancheur pour analyser avec lui les détails du procédé et notamment des points singuliers et valider le plus tôt possible les conditions de démontabilité, d’inspection, d’entretien ou de réparation du système. Mais pour cela il faut désigner les mandataires de chaque lot rapidement, ce qui n’est pas toujours le cas, surtout en marchés privés. Certains lots, et notamment les espaces verts, sont attribués tardivement. Alors même que les solutions techniques existent, ce retard peut faire subir des contraintes qui auraient pu être anticipées et aboutit au final à des aberrations techniques ou économiques. E.I. Quelle place pour les usagers dans la conception de ces ouvrages ? C.F. Finalement, ce sont eux qui font le succès ou l’échec d’une toiture-terrasse aménagée. L’idéal reste de les associer au projet dès son lancement. L’histoire doit commencer bien avant la livraison. Dans les cas où ce n’est pas possible, il faut, de toute façon, les engager à un moment ou à un autre. C’est pourquoi nous avons, par exemple, animé le potager en toiture du siège de BETC pendant plusieurs années. Cela a créé de vrais moments de convivialité qui participent à la réussite du projet. Chaque lieu à son modèle social, économique et spatial, défini par ceux qui vont les occuper. E.I. Il y a l’accueil des usagers mais également de la faune et de la flore. Les aménagements paysagers participent-ils au retour de la biodiversité en ville ? C.F. Plusieurs facteurs entrent ici en jeu et la seule volonté de biodiversité ne suffit pas. Les bureaux de BETC, par exemple, longent le canal de l’Ourcq qui attirent un grand nombre d’oiseaux. Nous avions donc mis en place en toiture une palette végétale adaptée à leur accueil. Mais quel oiseau viendra nicher dans un espace ou des centaines de gens sont susceptibles de se rassembler pour faire la fête ? Surtout quand la terrasse est équipée de dispositifs destinés… à éloigner les pigeons. C’est complètement contradictoire. Il faut sortir de cette vision construite de la biodiversité domestiquée qui finalement, ne correspond pas à la logique du vivant. Ce dernier n’a pas attendu les toitures végétalisées pour s’installer en milieu urbain et observer ce développement permet de mieux le comprendre pour créer des espaces adaptés mais aussi pour protéger ce qui est déjà en place. E.I. N’est-ce pas l’objectif des wild roof, ces toitures végétalisées laissées en autonomie ? C.F. Nous allons effectuer des essais avec ce type de toiture mais nous nous heurtons à l’écueil de son entretien. Il est l’affaire de spécialistes capables de reconnaître les plantes admises sur membranes d’étanchéité par exemple. Il nécessite de passer d’un entretien mécanique à un jardinage sachant. Or, aujourd’hui, les investisseurs sont prêts à financer des aménagements coûteux d’un côté mais de l’autre réduisent les budgets d’entretien, persistant dans le mythe du jardin au sol qui s’autogère. En toitureterrasse, rappelons-le, sans entretien, sa durée de vie est limitée. l * Carolina Foïs avec Christine Hoarau-Beauval, (Ré) investir les toits, Éditions le Moniteur, 2020, 203 pages.

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